Événement rare et peu prévisible
La survenue d’une mort subite est un accident dramatique rapporté chez des patients ayant une ANOCOR (Anomalie Coronaire Congénitale). Il s’agit essentiellement des connexions proximales anomales ayant un trajet initial entre les troncs artériels. La prévalence exacte de la mort subite est mal connue et seulement estimée, avec un risque absolu individuel très bas en comparaison avec d’autres pathologies cardiaques congénitales. Ce risque est plus important pour les ANOCOR gauches (0.2% par an) que pour les ANOCOR droites (0.02 % par an). La réalisation d’un effort sportif et un âge inférieur à 35 ans en sont deux facteurs de risque bien identifiés. Cependant, nous ne disposons pas encore de scores de risque permettant d’appliquer une prise en charge individuelle rigoureuse pour les formes anatomiques à risque, en particulier chez les sujets asymptomatiques.
Le terme de mort subite est utilisé pour décrire le décès naturel, non traumatique, soudain et inattendu d’un individu avec ou sans problème de santé connu, et qui survient dans l’heure qui suit le début d’éventuels symptômes en cas de présence d’un témoin. La mort subite est un arrêt cardio-respiratoire non récupéré d’origine cardiaque, situation la plus fréquente, ou non cardiaque. Le terme de mort subite d’origine cardiaque s’applique quand une cardiopathie susceptible d’entraîner une mort subite était connue, qu’une autopsie a identifié une cause cardiaque de mort subite, ou qu’aucune cause extracardiaque n’a été objectivée. On estime que 40.000 morts subites surviennent chaque année en France, dont environ 1.000 lors d’une activité sportive. La mort subite survient plus souvent chez l’homme que chez la femme et le risque augmente avec l’âge. La cause la plus fréquente de mort subite est la maladie coronaire athéromateuse, parfois silencieuse ou non diagnostiquée. Les autres causes possibles de mort subite sont les pathologies congénitales du muscle cardiaque qu’on appelle les cardiomyopathies (cardiomyopathie hypertrophique, cardiomyopathie dilatée, dysplasie arythmogène du ventricule droit), les myocardites (maladies inflammatoires du muscle cardiaque), les maladies rythmiques (syndrome de Brugada, syndrome du QT long, syndrome de pré-excitation ventriculaire), ainsi que certaines Anomalies Coronaires Congénitales (ANOCOR).
Les ANOCOR sont classées par l’artère coronaire impliquée, le site aortique de connexion anormale et le trajet que suit l’artère par rapport aux troncs artériels. On distingue quatre trajets possibles : prépulmonaire, rétropulmonaire, interartériel et rétroaortique. Dans de très rares cas, il n’existe pas de trajet ectopique associé. A ce jour, seules les ANOCOR avec un trajet interartériel ont été clairement identifiées à risque de mort subite. L’implication parfois évoquée de certaines ANOCOR avec un trajet rétropulmonaire, reste un sujet débattu. Les ANOCOR avec un trajet prépulmonaire ou rétroaortique sont classées sans risque de mort subite. Les ANOCOR avec un trajet interartériel représentent environ un tiers des ANOCOR proximales en population générale, avec une prévalence plus élevée pour les formes droites (0.3%) par rapport aux formes gauches (0.03%). Les très rares ANOCOR avec une connexion proximale pulmonaire sont également classées à risque de mort subite, avec un risque plus important pour les formes gauches.
Le risque individuel de mort subite reste mal connu. Il est important de comprendre qu’identifier une ANOCOR à risque de mort subite ne signifie pas que ce risque soit forcément élevé. On estime qu’un risque annuel > 1% peut justifier une prévention primaire contre la mort subite. Le risque annuel est estimé à 0.2% pour les ANOCOR gauches et à 0.02% pour les ANOCOR droites pour la population la plus exposée à savoir âgée entre 15 et 35 ans et pratiquant des activités sportives intensives. Ces chiffres sont nettement inférieurs à ceux attribués aux antres cardiopathies congénitales myocardiques ou rythmiques, avec un risque de mort subite généralement proche ou un peu supérieur à 1% par an. Cependant, la prévalence des ANOCOR (principalement la forme droite) est supérieure à celles des autres cardiopathies congénitales suscitées. Ce qui peut expliquer que les ANOCOR sont une des causes principales de mort subite chez le sujet sportif. La pratique sportive n’aggrave pas l’anomalie congénitale, mais c’est pour cette dernière que le lien entre activité sportive et mort subite est le plus net parmi toutes les cardiopathies congénitales concernées.
Tenant compte que très peu de patients, heureusement, seront impactés par une mort subite, la stratification du risque individuel reste difficile, même si elle reste primordiale pour proposer une prise en charge adaptée. Les recommandations actuelles se basent sur l’artère coronaire concernée, le caractère symptomatique ou non de l’anomalie coronaire, la présence ou non d’une ischémie myocardique provoquée, et des critères anatomiques de sévérité comme l’identification d’un passage intramural aortique.
– Les ANOCOR gauches ont un risque nettement supérieur (x 10 fois) à celui des ANOCOR droites. L’importance du territoire myocardique perfusé par une ANOCOR gauche est une explication avancée.
– La présence d’une symptomatologie d’allure ischémique est un élément décisionnel important surtout en cas de lien net avec l’effort. Les symptômes concernés sont bien entendu la douleur thoracique mais aussi la blockpnée, la lipothymie et la syncope. Dans près de la moitié des morts subites ou des arrêts cardiaques récupérés, une symptomatologie préalable, parfois négligée, est retrouvée. La mort subite peut cependant est le premier symptôme.
– L’ischémie myocardique joue un rôle certainement dans la survenue des troubles du rythme ventriculaire qui conduisent à un arrêt cardiaque. La recherche d’une ischémie myocardique doit être systématique en cas d’ANOCOR à risque. Elle peut se faire de manière non invasive avec les tests fonctionnels habituels associés à une imagerie cardiaque par ultrasons, isotopes ou résonance magnétique. Parmi les différents modes de stimulation possibles, la perfusion de dobutamine serait le mode le plus adapté pour les ANOCOR. L’évaluation physiologique hémodynamique (Fractional Flow Reserve) par voie invasive est possible en connaissant les difficultés parfois d’une injection sélective d’adénosine. Cette approche a aussi été étudiée de manière non invasive avec le scanner coronaire. On connaît la faible prévalence d’ischémie myocardique documentée dans les ANOCOR à risque y compris celles associées à une symptomatologie. Par ailleurs, une recherche d’ischémie myocardique négative chez un sportif asymptomatique, n’exclut pas formellement la survenue d’une mort subite.
– Les caractéristiques anatomiques du segment proximal de l’anomalie coronaire sont importantes à considérer. Le passage interartériel impose une déformation morphologique de l’artère coronaire qui doit s’adapter à un espace restreint entre les troncs artériels. Cette déformation est variable selon les individus. Des critères de sévérité ont été décrits : réduction de surface artérielle ≥ 50%, angle de connexion aortique aigu (≤ 30°) et forme de l’ostium en fente (ratio entre grand et petit axe ≥ 2.0). Un passage intramural aortique présente ces trois critères. Cependant, les valeurs prédictives de ces critères restent difficiles à préciser du fait de la très faible incidence de la mort subite.
– L’âge est un paramètre majeur à prendre en considération, et curieusement il n’est pas clairement cité dans les recommandations actuelles. Il existe manifestement une période vulnérable pour la mort subite entre les âges de 15 et 35 ans, et particulièrement dans un contexte d’activité sportive intense. Un risque de mort subite ne peut être formellement exclu en dehors de ces tranches d’âge, cependant il paraît exceptionnel après l’âge de 50 ans.
Les mécanismes d’une mort subite dans le contexte d’une ANOCOR avec trajet interartériel ne sont pas encore complétement élucidés. C’est un trouble rythmique ventriculaire grave (fibrillation ventriculaire) qui entraine l’arrêt cardiaque. Evidemment, l’ischémie myocardique est un des mécanismes à retenir. Cependant, il est intrigant qu’il soit difficile de mettre en évidence cette dernière, y compris chez les patients survivant à un arrêt cardiaque. De même, qu’une mort subite puisse survenir pour un effort physique sportif intense, déjà réalisé à de multiples reprises. Certaines modifications morphologiques observées au repos dans les ANOCOR avec un trajet interartériel peuvent expliquer la survenue d’une ischémie myocardique. Des modifications dynamiques supplémentaires liées à une activité physique très intense, restent encore non documentées, bien que souvent évoquées, en particulier une compression extrinsèque soit par l’artère pulmonaire (peu probable), soit par l’aorte (plus plausible en cas de passage intramural aortique). Des phénomènes mécaniques par une augmentation brutale de la contrainte pariétale au niveau de l’ostium ectopique ont été aussi suggérés. La thrombose, le spasme ou l’athérome coronaire survenant sur un trajet ectopique interartériel ne sont pas des mécanismes connus pour expliquer une mort subite. Un syndrome coronarien aigu classique (avec ou sans sus-décalage du segment ST) est exceptionnellement associé à un arrêt cardiaque dans un contexte d’ANOCOR. Des zones fibreuses myocardiques, secondaires à des épisodes répétés d’ischémie myocardique infraclinique, ont été suggérées à partir d’études post-mortem. Ces zones myocardiques pourraient être à l’origine de troubles du rythme ventriculaire. Les modifications neurohormonales liées à un effort physique intense et prolongé peuvent jouer un rôle dans la genèse d’une arythmie ventriculaire sévère. Le mécanisme de la mort subite des ANOCOR avec connexion pulmonaire est plus clair car il existe toujours une cardiomyopathie ventriculaire gauche sous-jacente, en rapport soit avec une séquelle d’infarctus (chez le sujet jeune), soit avec une cardiopathie hypokinétique secondaire à une ischémie chronique (chez le sujet adulte).
Les patients qui présentent un arrêt cardiaque en rapport avec une ANOCOR, ont certainement un pronostic plus favorable en raison de leur profil (sportifs jeunes avec un ventricule gauche généralement normal) et du contexte de survenue, souvent devant des témoins permettant des gestes de réanimation immédiats. Après un arrêt cardiaque, l’indication d’un défibrillateur automatique implantable (DAI) est recommandée (classe I) en l’absence de cause réversible évidente. Pour les ANOCOR, où la responsabilité d’une ischémie myocardique est fortement suspectée, un geste de revascularisation, chirurgicale le plus souvent, est généralement proposé. Un DAI est rarement discuté en prévention secondaire, même si les mécanismes de l’arrêt cardiaque restent mal connus.
Le dépistage des pathologies cardiaques à risque de mort subite serait la première étape pour une stratégie préventive chez le jeune sportif. Il existe toujours un débat sur l’utilité et les modalités d’un dépistage à large échelle dans cette population. L’examen clinique et l’électrocardiogramme ne permettent le diagnostic d’une ANOCOR. L’échocardiographie transthoracique est un outil diagnostique intéressant si l’opérateur est sensibilisé à la recherche des ostia coronaires en utilisant certaines coupes. Cet examen est obligatoire en France pour certains sportifs professionnels et pour les jeunes sportifs classés comme espoirs. En cas de suspicion d’ANOCOR, le diagnostic nécessite la réalisation d’un examen d’imagerie en coupe, généralement le scanner coronaire. Une fois l’ANOCOR à risque de mort subite diagnostiquée, la restriction de certaines activités sportives est un moyen de limiter l’exposition à la mort subite. Cependant, ce risque est très faible comme indiqué précédemment. Aussi, il faut toujours être attentif à ne pas restreindre par excès.
Les recommandations actuelles contre-indiquent la pratique sportive d’intensité moyenne ou élevée pour les ANOCOR gauches symptomatiques ou non, associées ou non à une ischémie myocardique, et pour les ANOCOR droites symptomatiques ou associées à une ischémie myocardique. La poursuite d’une activité sportive est possible après la correction de l’ANOCOR. Les recommandations européennes (plus restrictives) et nord-américaines (plus permissives) divergent pour les ANOCOR droites asymptomatiques ou sans ischémie myocardique. Les recommandations nord-américaines indiquent que les ANOCOR droites doivent explorées par un test d’effort, et qu’en l’absence de symptôme ou de test d’effort positif, les sujets concernés peuvent avoir une activité sportive en compétition après une information adéquate quant à l’incertitude de la signification d’un test d’ischémie négatif (IIa/C). Les recommandations européennes indiquent que la participation à des activités sportives d’intensité moyenne à forte en compétition, n’est pas recommandée pour les patients avec une ANOCOR avec un angle de connexion aigu ou un trajet entre les troncs artériels (III/C).
Bien que cela ne soit pas indiqué explicitement dans les libellés des recommandations sur les ANOCOR, l’indication chirurgicale implique un objectif de réduction du risque de mort subite en prévention primaire, par la correction d’une ischémie myocardique. Cependant, il faut savoir qu’à ce jour cette hypothèse n’a pas été validée par une étude randomisée. Le profil de la population cible (parfois mineure) et la très faible incidence du critère d’évaluation (mort subite) expliquent cette situation. La mortalité de la chirurgie des ANOCOR est reconnue comme très faible, mais cette dernière expose à certaines complications liées aux techniques chirurgicales : thrombose précoce, sténose cicatricielle, anévrisme au niveau du patch d’élargissement, ou insuffisance aortique en cas de geste proche d’une commissure. Il n’existe pas de données sur l’évaluation, dans la prévention de la mort subite, du traitement médical (généralement un bétabloquant) prescrit souvent de manière empirique.
Le management d’un patient avec une ANOCOR à risque peut être difficile. La décision de corriger ou non l’anomalie coronaire doit être prise de manière collégiale, si possible au sein d’un groupe multidisciplinaire spécialisé (cardiologue, cardiologue interventionnel, rythmologue si besoin, radiologue et chirurgien cardiaque habitué aux techniques de correction), eu égard aux nombreuses incertitudes actuelles.
L’adoption d’une démarche standardisée concernant la prévention de la mort subite reste souvent problématique en cas d’ANOCOR, surtout pour les patients asymptomatiques ou sans ischémie myocardique documentée. La question la plus importante est de savoir comment stratifier le risque de mort subite chez un patient avec une ANOCOR identifiée à risque. Il n’existe pas à ce jour de score pour stratifier ce risque. Les mécanismes physiopathologiques qui conduisent à une fibrillation ventriculaire restent à éclaircir. L’impact de la correction chirurgicale sur l’histoire naturelle d’une ANOCOR à risque mérite d’être évalué à une large échelle. La place de l’angioplastie coronaire versus la correction chirurgicale reste à définir dans certains cas. Enfin l’indication d’un DAI en prévention secondaire d’une mort subite est encore imprécise.
- Mort subite cardiaque et anomalies de connexion des artères coronaires : connaissances et questions, publié en 2017 dans Annales de Cardiologie et d’Angéiologie (Ann Cardiol Angeiol.2017;66:309-318.) et écrit par Aubry P, Halna du Fretay X, Degrell P, Waldmann V, Karam N, Marijon E.