Possible mais rarement documentée
Une ischémie myocardique peut être observée avec certaines ANOCOR (Anomalies Coronaires Congénitales), mais sa prévalence est reconnue comme faible, même chez les patients symptomatiques ou dans les formes anatomiques considérées à risque. Les mécanismes à l’origine d’une ischémie myocardique restent encore incomplètement élucidés. Il existe plusieurs méthodes pour rechercher une ischémie myocardique.
L’ischémie myocardique est un manque de perfusion sanguine d’une partie du muscle cardiaque (myocarde) par une diminution significative du flux sanguin dans une artère coronaire. Elle survient principalement lorsque le myocarde est soumis à une demande supplémentaire d’oxygène comme lors d’un effort physique. Quand cette ischémie est intense et de survenue brutale, elle peut être responsable de douleur thoracique (angor), de palpitations (trouble du rythme cardiaque), de malaise, de syncope (perte de connaissance brutale) ou d’arrêt cardiaque qui représente l’évènement clinique le plus grave.
L’ischémie myocardique est très probablement le mécanisme à la base des évènements cliniques qui surviennent chez les patients porteurs d’une ANOCOR. Le fait que ces évènements surviennent le plus souvent à l’effort est un argument fort dans ce sens. Tous les types d’ANOCOR ne provoquent pas d’ischémie myocardique. Il est admis que les ANOCOR avec un trajet prépulmonaire ou rétroaortique ne provoquent pas d’ischémie et ne présentent donc pas de danger particulier pour le patient. Ces formes anatomiques sont classées comme non à risque. Les ANOCOR avec un trajet interartériel (passage entre l’aorte et l’artère pulmonaire) sont les plus pourvoyeuses d’épisodes d’ischémie myocardique et donc à risque d’évènements cliniques. De rares ANOCOR avec un trajet rétropulmonaire peuvent être associées à une ischémie myocardique. Cette dernière est par contre fréquente pour les ANOCOR avec une connexion pulmonaire. Le diagnostic d’une ischémie myocardique repose généralement sur une preuve apportée par l’imagerie cardiaque, beaucoup plus rarement par des modifications de l’électrocardiogramme (ECG) ou des biomarqueurs myocardiques.
La physiopathologie de l’ischémie myocardique, probablement plurifactorielle, n’est pas encore entièrement élucidée pour les ANOCOR avec une connexion aortique ectopique. Ce n’est pas le cas des ANOCOR avec une connexion pulmonaire ectopique. Dans cette forme anatomique particulièrement rare, l’ischémie myocardique, généralement aiguë chez le nourrisson ou le très jeune enfant, est liée à une perfusion de sang non oxygéné dans une partie du myocarde. Chez l’adolescent et l’adulte, le mécanisme est différent avec une hypoperfusion myocardique chronique en rapport avec un débit sanguin insuffisant via la collatéralité venant de l’artère controlatérale. Pour les ANOCOR avec une connexion aortique ectopique et associées à un trajet interartériel, la possibilité d’une compression à l’effort du segment coronaire ectopique « coincé » entre l’artère pulmonaire et l’aorte a été pendant longtemps évoquée. Mais cette hypothèse paraît peu probable en considérant les variations hémodynamiques et physiques à l’effort des deux systèmes circulatoires, et elle n’a jamais été vérifiée. Quand une artère coronaire est connectée dans le sinus opposé avec un trajet interartériel, la morphologie artérielle est forcément différente d’une connexion normale. Cela est dû à une adaptation nécessaire à l’espace restreint situé entre l’artère pulmonaire et l’aorte. Il en résulte une diminution de diamètre et de surface avec un aspect généralement en fente de l’ostium. Il y est associé une réduction de l’angle de connexion avec l’aorte, un angle parfois très aigu (≤ 30°). Ces modifications morphologiques sont plus marquées quand un passage intramural aortique (dans la paroi de l’aorte) est présent. Ces paramètres peuvent expliquer une ischémie myocardique, mais seulement en partie car la réduction de surface est généralement de l’ordre de 50% et dépasse rarement 70% (seuil ischémique généralement retenu pour la maladie coronaire athéromateuse). Il faut donc envisager une composante dynamique associée à la composante fixe décrite précédemment. Lors d’un effort physique intense, l’augmentation de la tension pariétale aortique peut comprimer un passage intramural aortique limitant encore plus l’apport d’oxygène déjà amputé par la composante fixe. D’autres mécanismes dynamiques comme ont été suggérés comme une subocclusion de l’ostium par le mouvement de la commissure aortique proche. On reste intrigué de certaines caractéristiques comme l’absence de reproductibilité d’un symptôme ou d’une ischémie myocardique pour un même degré d’effort ou par leur survenue parfois tardive après l’âge de 50 ans en l’absence de maladie coronaire athéromateuse associée. Les autres causes d’ischémie myocardique observées dans la maladie coronaire classique (athérome, spasme ou thrombose) n’ont pas (ou de manière exceptionnelle) été décrites pour les ANOCOR avec un trajet interartériel. Il existe peut-être une autre forme d’ischémie myocardique dite chronique, généralement silencieuse, qui peut créer des micro-infarctus par une répétition prolongée de brèves phases d’ischémie d’effort. Pour les ANOCOR avec un trajet rétropulmonaire, une ischémie myocardique peut être expliquée par la réduction de calibre liée à un passage intramyocardique plus ou moins profond et parfois majorée en systole par la contraction du muscle cardiaque. Il est fréquent chez les patients les plus âgés, qu’indépendamment de l’ANOCOR, il existe une maladie coronaire athéromateuse classique qui peut provoquer une ischémie myocardique. L’athérome peut être présent sur l’ANOCOR et/ou sur l’artère controlatérale. La prévalence de l’athérome varie selon les trajets ectopiques des ANOCOR, avec une surreprésentation pour les trajets rétroaortiques qui concernent surtout l’artère circonflexe. A l’opposé, les trajets interartériels semblent protégés contre le développement d’une athérosclérose. Les mécanismes sous-jacents à ces différences entre les trajets ectopiques sont encore mal élucidés.
Comme indiqué précédemment, l’ischémie myocardique est documentée dans peu de cas. Cela peut s’expliquer par le fait que les tests utilisés explorent préférentiellement la composante fixe de la réduction de surface artérielle liée à l’anomalie congénitale. La composante dynamique, caractérisée par son inconstance, est plus difficile à reproduire et donc à diagnostiquer. Une autre hypothèse est qu’une large partie des ANOCOR identifiées morphologiquement à risque ne présenteront jamais d’ischémie myocardique. Cependant la valeur prédictive négative des tests diagnostiques est reconnue comme faible. Il existe de nombreux outils pour rechercher une ischémie myocardique, outils déjà utilisés pour la maladie coronaire athéromateuse.
L’interrogatoire
L’interrogatoire médical est la première étape diagnostique afin de rechercher des symptômes d’allure ischémique : angor (douleur oppressante rétrosternale), lipothymie (malaise) ou syncope (perte de connaissance brutale) avec un lien préférentiel avec l’effort physique. Il est utile de rechercher une ischémie myocardique pour authentifier l’origine ischémique de ces symptômes. Néanmoins, comme indiqué précédemment, cette recherche est souvent négative et la présence seule d’un symptôme d’allure ischémique peut suffire pour discuter la correction d’une ANOCOR. Il faut rappeler la difficulté fréquente de l’interrogatoire chez l’enfant (manque de précisions et caractère fluctuant). L’arrêt cardiaque récupéré avec un rythme cardiaque choquable (le plus souvent une fibrillation ventriculaire) peut être assimilé à une symptomatologie d’allure ischémique si aucune autre étiologie n’a été mise en évidence. Les palpitations en rapport avec un trouble du rythme ventriculaire identifié (tachycardie ventriculaire) sont très rares.
L’électrocardiogramme
L’électrocardiogramme (ECG) de repos est un examen de réalisation facile mais peu utile pour reconnaître ou suspecter une ANOCOR. L’ECG est généralement normal. L’ECG d’effort est un examen d’accès facile mais avec une précision diagnostique assez limitée. En pratique, en cas de test d’effort positif électriquement, un test fonctionnel avec une imagerie (échographie, imagerie par résonance magnétique ou scintigraphie) devra être proposé pour éliminer un faux-positif.
Les tests fonctionnels avec imagerie
Ces tests sont proposés en cas d’ANOCOR symptomatiques ou identifiées à risque. Le test idéal consisterait à évaluer à la fois la composante fixe et la composante dynamique d’une sténose congénitale. Cependant, les modes disponibles de simulation d’un effort physique extrême présentent certaines limites : difficultés à atteindre par l’effort la fréquence cardiaque maximale théorique, agents vasodilatateurs (adénosine, dipyridamole, régadénoson) agissant uniquement sur la composante fixe, et diminution de la pré-charge ventriculaire avec la dobutamine. La dobutamine associée d’une part à une administration d’atropine (0.5 mg) pour se rapprocher de la fréquence cardiaque maximale théorique et d’autre part à un remplissage (1.500 mL de solution saline) pour prévenir une chute de la pré-charge, est reconnue actuellement comme l’épreuve de simulation la plus proche d’un effort physique très intense. Ce type d’investigation, pas toujours faisable dans un laboratoire d’échocardiographie, est réalisé préférentiellement au cours d’une exploration coronaire invasive. La dobutamine administrée par paliers progressifs jusqu’à une dose de 40 µg/kg/min augmente la contractilité myocardique, le volume d’éjection ventriculaire et le débit cardiaque. Chaque outil d’imagerie présente des avantages et des inconvénients.
-L’échocardiographie transthoracique – L’évaluation échocardiographique est à privilégier chez le jeune patient et l’adulte présentant une fenêtre acoustique satisfaisante. Elle recherche sous un stress physique ou pharmacologique une anomalie qualitative d’une partie de la cinétique ventriculaire, témoin indirect d’une ischémie myocardique dans le territoire de l’ANOCOR.
-L’imagerie par résonance magnétique – L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est d’un accès plus difficile en raison du nombre d’appareils disponibles. Elle nécessite par ailleurs un environnement adapté pour réaliser un stress pharmacologique (vasodilatateurs ou dobutamine). Sa valeur diagnostique est reconnue comme bonne. Elle est repose sur deux types possibles d’imagerie, soit l’imagerie de perfusion sous un vasodilatateur (adénosine), soit l’imagerie en mode ciné sous dobutamine. L’imagerie dynamique de perfusion étudie le signal vasculaire (premier passage) d’un agent de contraste (gadolinium). La présence d’un hyposignal dans la région sous-endocardique d’un ou plusieurs segments myocardiques témoigne d’une hypoperfusion. L’IRM-ciné étudie la cinétique segmentaire du ventricule gauche. Le test est positif en cas d’apparition d’une anomalie de cinétique segmentaire dans au moins deux segments myocardiques contigus.
-La scintigraphie myocardique – La scintigraphie myocardique de perfusion est un examen d’imagerie non invasif permettant d’évaluer la perfusion du cœur. Un radiotraceur émetteur d’un rayonnement est injecté par une veine du patient puis va être capté par le muscle cardiaque de manière proportionnelle à la perfusion locale de sang. Cet examen est habituellement réalisé dans un premier temps dans des conditions d’effort puis dans un deuxième temps au repos avec une comparaison des images obtenues aux deux temps de l’examen. L’avantage de la scintigraphie myocardique de perfusion est que l’imagerie peut être associée à un test d’effort de niveau élevé. Après son injection durant l’effort, le radiotraceur reste fixé dans le muscle cardiaque durant 20 à 60 minutes. L’imagerie scintigraphique peut être donc réalisée après le test d’effort et identifier la localisation dans le cœur d’un territoire avec une perfusion réduite à l’effort. En cas de doute sur la possibilité de réaliser un niveau d’effort élevé, un stress pharmacologique (régadénoson ou dipyridamole) peut être associé. Au contraire de l’échocardiographie et de l’IRM cardiaque, la scintigraphie myocardique expose le patient à des radiations ionisantes.
Le scanner coronaire
En plus des informations morphologiques fournies sur l’ANOCOR, le scanner coronaire permet une analyse physiologique coronaire via une mesure de la FFR (Fractional Flow Reserve) appelée FFRCT et utilisant des algorithmes de la dynamique des fluides. Néanmoins, ce mode d’analyse a été testé d’abord sur la maladie coronaire athéromateuse, et sa valeur diagnostique est encore mal connue dans les autres domaines coronaires. Récemment, l’étude de la perfusion myocardique au cours d’un scanner coronaire et sous stress (adénosine, régadénoson, dipyridamole ou dobutamine) a été proposée. Cela nécessite un niveau plus élevé d’exposition aux radiations ionisantes et la valeur diagnostique n’a pas encore été validée.
La coronarographie
Il s’agit d’un examen invasif nécessitant un abord artériel et l’administration d’un produit de contraste iodé, et exposant aux radiations ionisantes. Cependant, la coronarographie permet de réaliser, en plus de l’analyse anatomique, une évaluation physiologique des sténoses observées dans certaines ANOCOR. Les paramètres habituels (FFR en hypérémie, iFR sans hyperhémie) peuvent être mesurés. Le cathétérisme généralement non sélectif des ANOCOR avec un trajet interartériel rend difficile une injection intracoronaire correcte d’un vasodilatateur type adénosine. L’alternative est une administration veineuse d’adénosine ou au mieux de dobutamine avec le protocole décrit précédemment.